Je me souviens, comme vous toutes et tous sans doute, d'avoir entendu toute ma jeunesse les personnes âgées dire: "profitez-en car ça passe très vite notre vie sur terre " . Je pensais qu'ils radotaient car, quand on est très jeune, on voudrait toujours être plus vieux.
Quand j'avais 8 ans, j'aurai voulu en avoir 14, et, à 14 ans, je voulais en avoir 18 et ainsi de suite jusqu'à ce que je mettre les aérofreins, et ça m'est arrivé vers 50 ans. Avant cette date, la tête dans le guidon, je n'ai rien vu passer, ni le temps, ni la philosophie du temps qui passe car je croquais la vie à pleines dents.
À 50 ans , je me souviens d'avoir cette réflexion qui me revenait de façon répétée: "je n'ai pas du tout vu passer les 20 dernières années et, si je ne change pas, si je ne me pose pas, je ne verrais pas passer les 20 prochaines et j'aurai 70 ans !!
N'oubliez pas qu'il y a quelques dizaines d'années, quand j'étais gamin, une personne de 70 ans était un vieillard et cela est resté gravé dans ma mémoire. Alors j'ai eu peur et, dès que j'ai pu, je me suis mis en retrait, j'ai recommencé à lire, chose que j'avais oublié, faute de temps, alors que j'avais énormément lu lors de mes études secondaires, j'ai regardé mon jardin et plus particulièrement mon potager avec tendresse, je me souviens y avoir installé une chaise dédiée au rêve.
C'est comme cela que j'ai débuté la jardinothérapie. Certes, j'ai toujours jardiné mais de manière différente, productiviste, sans passer mon temps en extase devant mes salades qui "faisaient lignes " ou sans rester hypnotisé par les fleurs de pommiers qui sont pour moi les plus belles fleurs quand vous les admirez individuellement.
Et puis il y a eu les 70 balais, avec, au programme, une très grande fête avec 90 personnes, la famille, des amis, des copains, des relations, des "ceuces" qui venaient spécialement de Picardie, avec des sketches, avec un grand moment émouvant procuré par le Trio Mistral venu spécialement de Suisse et de Belgique pour m'interpréter un de mes classiques favoris , les Méditations de Thaïs de Massenet, dans le Temple de Puget, une surprise, un cadeau.
Et il a fallut enjamber les 70 avec les difficultés que mes lecteurs connaissent, puisque,, deux mois après cette grande fête, mon fils m'annonçait sa maladie: Putain de maladie de Charcot.
Il s'en est suivi 7 années de galère pour lui et pour toute la famille, une tristesse cachée qui nous rongea et nous mina jour et nuit, sans qu'on laisse transparaître quoi que ce soit pour éviter d'ennuyer nos connaissances avec nos malheurs. Mais que ce fut difficile et ça l'est encore aujourd'hui et je continue de penser que quiconque n'est pas passé par là ne peut pas comprendre à quel point la douleur est transfixiante .
Alors c'est bientôt les 78 et peut-être, je dis bien peut-être 80 dans deux ans. MERDE alors, comment est-ce possible!!
Alors que puis-je dire sur le vieillissement du corps et de l'âme, c'est à dire des pensées et de notre cher cerveau ?
Vieillir c'est pour moi partir un peu, dans un long couloir devenant de plus en plus étroit. Je vois la porte entrouverte tout au fond qui m'attend mais je n'ai pas l'intention de me laisser faire. J'essaie de reculer en faisant du golf, en rayonnant avec mon alter ego sur le tandem, en jardinant, en lisant, en discutant, mais que nenni, quoique je fasse, l'inexorable temps s'écoule, sans aucune perturbation, de janvier à décembre, sans heurts, sans pause, reconnaissant ainsi mon insignifiance devant l'éternité.
Vieillir, c'est s'arrondir, souvent au propre mais pour moi au figuré , c'est à dire accepter plus facilement la contradiction, ne plus monter au cocotier pour des broutilles, regarder l'autre avec un oeil différent, plus conciliant, souvent réprobateur mais sans chercher à chipoter. Un peu faux cul diront certains ! je ne le crois pas car je garde mes avis pour moi, en particulier sur la société et sur la politique mais qui suis-je pour prétendre avoir raison ? Le principal n'est-il pas de garder ses propres valeurs ?
Vieillir c'est aussi assister au délabrement de son corps, progressivement, sans tambours ni trompettes, avec les douleurs plus fréquentes, la fatigue plus précoce, le coeur qui s'accélère à l'effort comme il le faisait par amour à mon adolescence, les marches devenues de plus en plus hautes, les côtes en tandem qui sont de plus en plus difficiles, la terre devenant de plus en plus basse, faire en 3 heures ce que l'on faisait en une heure, oui, tout cela s'ajoute à une peau qui se flétrit progressivement,les cheveux devenus blancs qui tombent, les muscles qui s'atrophient, et l'appétit qui diminue. Vous voyez les amis, ce n'est pas terrible , même si j'ai décidé de contrarier le temps qui passe par ma jardinothérapie, les longues randonnées en tandem, les parties de golf et les promenades dans le Luberon.Mais c'est indiscutablement moins facile et si la vieillesse n'est pas toujours un naufrage , comme le disait le Grand Charles, c'est indiscutablement une épreuve.
Vieillir c'est aussi accepter, de temps en temps, les petits trous de mémoire, là pour retrouver le prénom de la personne avec qui vous discutez et que vous n'avez pas vu depuis longtemps, là pour retrouver le nom d'un village que vous avez visité il y a quelques années etc etc. Je me force à retrouver ces noms et j'insiste jusqu'à ce que j'ai réussi car je reste un peu têtu.
Vieillir, c'est se pencher progressivement sur ses souvenirs, pour moi surtout les bons car j'ai cette faculté à oublier les mauvais.Revoir son enfance, scruter son adolescence, rire de mes bêtises de pensionnaire et il y en a eu énormément, revoir mes études de médecine, mes premières dissections, mes premières gardes, les fiestas, la thèse, mon premier patient etc etc mais surtout les naissances des enfants, leurs premiers tours de vélo, les promenades dans les Vosges, les vacances en famille, mes souvenirs sportifs, de tous les sports mais me reviennent surtout le Paris-Roubaix cycliste , l'ascension du Mont Blanc , le Marathon de New York et mon titre de champion de France de golf des médecins à Dijon mais aussi beaucoup de souvenirs avec mes amis de l'ACPI, les virées entre médecins en vélo pendant une semaine dans les régions viticoles (vous me suivez) les voyages au Rajasthan,au Vietnam, en Toscane,en Islande, à Berlin avec son Mur qui m'a marqué, en Norvège, en Finlande, aux USA, au Costa Rica mais aussi avec les potes la traversée de l'Atlas à pied ou du désert etc etc mais je dois ajouter la traversée du désert en moto avec mon cher fils, un souvenir inoubliable , à deux, sous les étoiles au milieu des dunes. Que de souvenirs ! cela a de quoi remplir toutes mes cases!! Tout ceci apparait furtivement dans mes rêves mais également quand mon regard accroche une photo souvenir, et j'ai un moment de transfert, non pas parce que je regrette de ne plus pouvoir le faire mais parce que cela me procure de la joie avec un petit sourire qui se détache sur la commissure des lèvres, un sourire de plénitude réelle et non de regret . Jamais de nostalgie mais que du souvenir !! Et puis il y a eu cette merveilleuse période de ma vie pendant laquelle j'ai aimé mes patients, en absorbant tous leurs bonheurs mais aussi tous leurs malheurs que j'ai accompagnés avec empathie et chaleur. On se connecte encore aujourd'hui pour mon plus grand bonheur. Enfin que dire de mes 15 années de bénévolat à Médecins Du Monde où j'ai rencontré des gens formidables,des personnes qui donnent tout ce qu'ils peuvent pour la misère du monde. Je leur dit merci, merci, merci et je les embrasse.
Alors les amis, il est temps de vous dire que je reviens chaque jour sur le leitmotiv que j'ai asséné toute ma vie à mes patients: "il faut s'adapter" et j'essaie de l'appliquer au quotidien avec une philosophie que je n'aurai jamais cru pouvoir accepter auparavant. Je réduis mes kilomètres en tandem, je diminue le nombre de mes parties de golf, je plante moins de tomates et autres légumes, je me connecte à mes lectures(je suis en train de relire Cervantes avec son magnifique Don Quichotte après avoir tout lu de Yasmina Reza que je vous conseille) je vais m'occuper avec des amis d'un trail avec la maladie de Charcot pour bénéficiaire (le 29 septembre)et puis j'ai été catapulté Président d'un Festival de Musique Classique avec des amis dont la programmation nous amène les plus grands interprètes mondiaux (Jean Marc Luisada le 28 mai à Puget entre autres) et surtout, surtout, je profite de ma chère et tendre épouse avec qui je suis depuis la bagatelle de 56 ans, ainsi que de ma petite fille et de sa maman qui ont besoin de nous après la perte de notre fils .
Bref, vieillir, oui, mais pas encore, car, tant que je pourrai "penser" mais aussi "faire", même si c'est un peu moins, je ne me résoudrai pas à vieillir et puis, ce qui a marqué ma vie, et les jeunes peuvent en témoigner, c'est mon humour, quelquefois carabin et un peu décalé et donc de nos jours déplacé, humour qui me procure une certaine joie quand ma répartie spontanée déclenche un rire collectif.
L'humour, essayer de rester à sa place,être attentif à l'autre, être généreux savoir qu'on ne mange qu'un beefsteack par repas, les grands principes que m'ont enseigné mes chers parents que je n'oublie pas dans mes pensées quelquefois torturées.
Comme disait Paul Léautaud:" je m'amuse à vieillir, c'est une occupation de tous les instants " car j'ajoute qu'il faut profiter de notre passage, pas en égoïste bien sûr, mais profiter et faire profiter tout ce dont l'humanité peut nous apporter car bout de la ficelle se réduit dangereusement!!
PS: je vous mets quelques dizaines de photos souvenirs (parmi bien d'autres)