Je suppose que beaucoup se demandent comment un médecin peut rentrer normalement chez lui le soir ,revenir à une vie familiale normale,en oubliant les drames de la journée,les malades en fin de vie,les décès, et es accidents graves de la vie.
Je vais essayer de vous expliquer mon cas personnel ,comment je me suis construit,comment est apparue ma schizophrénie "sensible "quotidienne.
Cela a débuté en première année de médecine,quand je me suis retrouvé très jeune dans une salle toute blanche en présence de 6 cadavres qu'il allait falloir disséquer.Des copines faisaient des malaises,des copains devenaient tout blanc et moi-même je ne me sentais pas très bien.
Mais il fallait avoir la tête haute et nous sommes allés tous "au charbon" et ce fut sans doute la première fois que l'on bravait la mort.
Je vous l'avoue et je n'en suis pas fier (mais tous les apprentis médecins se souviennent),pour faire le "fiérot" la première chose découpée chez les hommes était toujours la verge mais,pire,les petits doigts étaient pris comme des trophées. Vous aurez peut être du mal à comprendre ces comportements mais il faut se trouver entre jeunes soi-disant "debout face à la mort" pour comprendre.
La suite,je l'ai vécu en neurochirurgie et,pendant 6 mois j'ai vu des des enfants,des jeunes adultes,en pleine santé apparente,joyeux la veille de leur intervention pour tumeur cérébrale, discutant et riant avec moi qui savait qu'ils allaient à l'abattoir car ,à cette époque,80% de ces opérations échouaient ( n'oubliez pas que c'était avant 68 et heureusement les progrès ont été fabuleux depuis ). Alors,on se "blinde "on se forge un caractère qui,même si l'émotion est toujours là,nous permet de se cacher et de braver.
Ensuite,pour payer mes études,outre mon poste de "pion " au Lycée Clemenceau de Reims,je passais mes nuits à garder des comas.Vers 22 heures,je me retrouvais seul,dans une grande salle commune , avec 40 comas (et oui,c'était une autre époque).J'avais 20 ans.
Il fallait les aspirer,les bouger,enfin,les surveiller car j'abrège mes mauvais souvenirs.Il y en avait qui mouraient,j'en ai vu se réveiller,assez peu,mais c'était très impressionnant.
Je le répète , j'avais 20 ans ! je pense que vous commencez à imaginer un caractère qui se durcit et , même si j'ai une âme très sensible,vous comprendrez que j'ai eu l'habitude de faire face et je continuerai de faire face.
Et puis il y a eu ma médecine de famille,les drames,les morts,des jeunes mais aussi des plus âgés que j'aimais aussi beaucoup car ils étaient quelquefois mes grands pères ou mes grands mères,mais le plus souvent,sans le savoir,mes amis.
Lors des obsèques de Blaise,les larmes ont coulées mais,très vite,j'ai remplacé ma sensibilité par des images et des souvenirs que j'avais en commun avec lui.Il en a été de même lors du décès de mes parents,chose la plus difficile que j'ai eu à affronter, mais ma philosophie de la vie, "le passage" qu'il est pour moi important de marquer au service des autres , a repris très vite le dessus mais toujours en gardant le souvenir ému.
Voilà les amis,comment je me suis forgé une carapace qui a toujours été poreuse car l'âme du mec reste très sensible et c'est sans doute pour cela que , 14 ans après,je reste très attaché à mes patients de Lesdins et d'ailleurs qui me le rendent bien par leurs petits mots,leurs faire-parts et leurs mails.
Alors continuons ensemble,même si nous sommes éloignés,car notre parcours commun a impliqué l'accumulation de souvenirs.