Losque j'étais jeune,je me demandais souvent comment certains vieillards,que je croyais impotents,pouvaient accepter ce semblant de vie.Maintenant j'ai compris.Je compte comme eux en petites joies.Je dévorais la vie,sans la mâcher,maintenant le la déguste.
Simenon
J'étais heureux,j'étais en vacances en Norvège,un pays magnifique,un vrai pays écolo avec ,en prime , le soleil de minuit qui me permettait de partir à la pêche vers 23 heures,avec le soleil couchant et de revenir avec de magnifiques cabillauds que nous mangions le lendemain sur un barbecue à usage unique (deux euros),bref,tout baignait,tout allait bien,je me sentais revivre dans ma petite cabane de pêcheur (rorbu) au bord de l'eau,au delà du cercle polaire.
Et puis,tout a basculé en une minute,que dis-je en 10 secondes lors d'un petit voyage en bus.
Je vous explique:je venais de monter dans un bus,bien rempli,et je me tenais debout me tenant aux barres de plafond,sifflotant,regardant le paysage,quand une jolie Norvégienne d'une cinquantaine d'année assise près de moi se leva et me céda sa place ,comme je le fais souvent aux personnes très âgées!!
Je l'ai regardé d'un oeil hébété et interrogateur,oui c'était bien à moi qu'elle cédait sa place et ce fut alors pour moi un choc et une révélation:j'étais devenu vieux ou,en tout cas,c'était l'image que je donnais!! on me cédait une place dans les transports en commun.Mon épouse et mes amis étaient secoués de rire en voyant ma tête et ce fut instantanément la fête et le rire général qui domina cette découverte.
C'était la première fois qu'il m'arrivait une telle mésaventure mais il est vrai que c'est rare pour moi de prendre les transports en commun en dehors du TGV où les places sont numérotées.
La vie est ainsi faite,on cède sa place ,on court toute sa vie,on a une réduction séniors puis on retrouve sa place!! on marche à quatre pattes,on apprend à marcher puis à courir,on court,on court,puis on remarche,on boîte,puis "du lit au fauteuil et puis du lit au lit " comme le dit Brel.
Je croyais naïvement que j'avais toujours 40 ans et cette belle Norvégienne m'a fait tomber de mon échelle ou de mon mirador.Bien entendu ,même si ce fut non pas un choc mais une surprise,j'ai pris cela avec humour et philosophie et ce fut un sujet de plaisanteries à mes dépends pendant quelques jours avec mes amis qui se sont gentiment moqués et ils ont eu raison car , moi qui suis taquin,je n'aurai pas manquer de le faire dans un autre cas de figure.
Cela remet quand même à sa place et permet de réaliser que l'horloge avance et c'est un avertissement sans frais avant de repasser une dizaine l'an prochain.
Tout ceci ,je le répète,pris avec une belle distance, avec beaucoup de dérision,me renforce dans l'idée de profiter du soleil chaque matin en ouvrant les volets,c'est à dire de vivre au jour le jour avec un cahier des charges quotidien qui est toujours le même:profiter d'une belle journée au milieu de ma famille et de mes amis,rendre service à tous ceux qui en ont besoin;les plus vieux que moi,les malades,les nécessiteux,et cultiver mon jardin au propre comme au figuré.
Quand on a respecté ce cahier des charges quotidien,on dort bien le soir,satisfait du travail bien accompli mais aussi heureux des contacts et des services ,bref on s'endort avec une sensation de plénitude humaniste nécessaire lors de notre passage sur terre.Quelle tristesse que de ne vivre que pour soi car même si cela amène un plaisir immédiat, le bilan fait quand on vous cède la place dans le bus,ce bilan est pauvre et triste et les souvenirs personnels ne peuvent jamais remplacer les souvenirs du partage car ce sont ces souvenirs qui vous font grandir.
Vous voyez que cette belle Norvégienne m'a fait cogiter,mais quelle rigolade et que de moqueries des copains entretenues pendant quelques jours.
Ô rage,Ô désespoir,Ô vieillesse ennemie.....(un jour je vous donnerai cette tirade du Cid en version carabin et vous ne serez pas déçus)
Savoir vieillir est le chef-d'oeuvre de la sagesse,et l'une des plus difficiles parties du grand art de vivre